4thJuil
Le projet de loi de sécurisation de l’espace numérique proposé par le ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot, et qui s’attaque à plusieurs fronts dont l’accès des mineurs au porno en ligne, a été voté mardi par le Sénat à l’unanimité.

Bloquer et déréférencer les sites pornos

Afin d’obliger les sites pornographiques à contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs, alors que 2,3 millions de mineurs visitent ces sites chaque mois, le texte prévoit bien de donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites qui ne proposeraient pas de vérification assez solide et opérationnelle de l’âge effectif des utilisateurs. Le tout par une procédure administrative et pas judiciaire, afin de réduire les délais et faciliter les sanctions, sur le modèle de l’Autorité nationale des jeux en ce qui concerne les jeux d’argent. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, une autorité indépendante, pourrait aussi prononcer des amendes « dissuasives », allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxe réalisé par l’entreprise concernée à 2 % en cas de réitération des manquements.

« On se laisse un peu embrouiller par l’industrie du porno »

Sur ce point, un consensus s’est dégagé sans problème au sein de l’hémicycle, et la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, l’une des auteures du rapport publié il y a un peu moins d’un an avec Annick Billon (UC), Alexandra Borchio-Fontimp (LR) et Laurence Cohen (PCF), a « salué l’intention du gouvernement de faire un pas en avant en ce qui concerne la lutte contre la toxicité de l’industrie pornographique. »

Mais elle a immédiatement ajouté qu’en l’état actuel du projet de loi, « on se laissait un peu embrouiller par le lobby du porno. » Parce que si l’ensemble des sénatrices et sénateurs ont pu se mettre d’accord sur la nécessité des sanctions, c’est sur la procédure qui permettrait de définir quel site contrevient à ses obligations ou pas que les sénatrices Laurence Rossignol et Laurence Cohen ont interpellé le gouvernement. Ainsi, ces sénatrices de la délégation aux droits des femmes ont alerté sur l’efficacité du « référentiel » que devrait produire l’Arcom sur ce sujet. Ce référentiel déterminerait les « exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge. » 

« Une obligation minimale »

Une rédaction qui présente le risque de « créer une obligation minimale »pour les sites pornographiques, « une obligation de moyens et non de résultats » a estimé Laurence Rossignol, qui pourraient « se contenter de satisfaire au référentiel. » Laurence Cohen a, elle, réitéré l’importance « d’envoyer un message fort aux plateformes pornographiques », qui doivent « jouer une part active » dans la prévention.

Ainsi la sénatrice Annick Billon (UC) a évoqué le rapport co-écrit avec ses collègues sénatrices Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Rossignol (PS) et Laurence Cohen (PCF), soulignant que ce dernier « a apporté une véritable expertise sur l’industrie pornographique, sujet alors absent du débat public et des politiques publiques ».  « La pornographie, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 a des conséquences graves sur les mineurs », a-t-elle rappelé : « addiction, comportements et pratiques sexuelles à risque, et les conséquences qui se répercutent sur l’ensemble de notre société ».

Annick Billon a ainsi rappelé la préconisation de ce rapport « d’imposer un véritable contrôle de l’âge des internautes », rappelant que la loi du 30 juillet 2020 « oblige ce contrôle d’accès et que l’Arcom n’a toujours pas fait usage de sa nouvelle compétence et qu’elle doit avoir une attitude pro-active ». En proposant un amendement de suppression sur le référentiel de vérification de l’âge laissé à l’Arcom, ce qui aurait aussi une implication sur les décisions de justice attendues, les sénatrices Laurence Rossignol (PS) et Laurence Cohen (PCF) ont donc ainsi souhaité attirer l’attention des parlementaires et de l’exécutif sur les risques opérationnels que portait le dispositif, et qui pourrait donc selon elles laisser une trop grande marge aux plateformes.

« C’est aux plateformes d’apporter la preuve qu’ils ont tout mis en œuvre pour contrôler la fréquentation de leurs sites par des mineurs, et ce dans l’état de l’art et en prenant en compte les évolutions technologiques », a ajouté Laurence Rossignol, pour justifier ces précisions par rapport au rapport de la délégation aux droits des femmes. « Entre-temps, a-t-elle ajouté, l’état de l’art a évolué et un certain nombre de discussions avec des spécialistes m’amènent à penser qu’il y a un risque fort que ce référentiel ne soit qu’une obligation de moyen. Il ne faut pas qu’il devienne le seul point de référence, surtout si l’on prend trois ans pour l’établir alors que les outils évoluent… » a détaillé la sénatrice socialiste.

Des arguments qui n’ont pas convaincu Jean-Noël Barrot : « En réalité, si nous n’avons pas de référentiel, ce n’est pas sur les plateformes que nous rejetons la responsabilité, mais bien sûr le juge », a maintenu le ministre, en expliquant que ce serait à la charge du juge de décider si la protection mise en place était fiable ou non, et ce sans référence commune. « Finalement, le référentiel vient sécuriser la capacité juridique de l’Arcom : il faut que l’on puisse a minima fixer des conditions dans lesquelles on considère que le blocage et le déréférencement peuvent être décidés » a poursuivi Jean-Noël Barrot.

Le gouvernement laisse donc à l’Arcom le choix d’établir les exigences techniques de limite d’âge

En proposant d’inscrire dans la loi qu’avant la fameuse vérification d’identité, la page d’accueil des sites pornographiques devrait être un « écran noir », et non des images floutées, Laurence Cohen a permis un débat pour préciser sur le statut de ce futur « référentiel. » Tant le rapporteur que les ministres ont exprimé leur accord avec les objectifs poursuivis par Laurence Cohen, mais ils ne tenaient pas à inscrire la mesure dans la loi, et ont appelé les sénatrices de la délégation aux droits des femmes à s’en remettre au référentiel qui sera produit par l’Arcom, tout en s’engageant à pousser pour que cette nécessité d’un « écran noir » y figure.

« Je vous donne acte de votre bonne volonté. Mais ici nous sommes des législateurs », lui a rétorqué Laurence Rossignol. « Le meilleur moyen de se garantir que cette mesure soit appliquée, ça reste encore de voter l’amendement. On n’aura alors plus besoin de pousser l’Arcom », a-t-elle ajouté. Une mauvaise solution, a estimé la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel : « Pour donner des pouvoirs à l’Arcom il fallait donner une base légale au référentiel, mais mettre la teneur du référentiel dans la loi me paraît aller trop loin, parce que cela voudrait dire revenir devant le législateur à chaque évolution technologique. Il y a un engagement du gouvernement sur les délais et complétude de ce référentiel. Mais attention à ne pas alourdir par la loi son contenu, qui doit rester souple et adaptable aux évolutions technologiques. »

La responsabilité des réseaux sociaux également pointée du doigt

La responsabilité des réseaux sociaux s’est également invitée dans le débat, avec une promesse du ministre Jean-Noël Barrot de mettre en place un groupe de travail “transpartisan et paritaire” pour se pencher sur cette question.

Plus globalement, le projet de loi entend adapter le droit français à de nouvelles réglementations européennes, régulant les risques d’abus de position dominante ou la diffusion des contenus problématiques chez les plus gros acteurs du numérique, tout en renforçant la protection des utilisateurs, en particulier s’ils sont mineurs.

Avec cette loi qui doit revenir à la chambre basse, l’Arcom aurait plus de marge de manœuvre dans la lutte contre l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Elle pourra ainsi ordonner le blocage de ceux n’ayant pas mis en place une protection suffisante, sans attendre la décision d’un juge. Le projet de loi entend également mettre en place une solution permettant d’avertir directement toute personne sur le point de se diriger vers un site identifié comme malveillant.

Une autre mesure pourrait entraîner un banissement d’un réseau social lors d’une condamnation pour haine en ligne, cyber-harcèlement et d’autres infractions. Le cyber-harcèlement sexuel, comme le revenge porn, pourrait donc également en faire les frais. « Même derrière un pseudo, même derrière un avatar, chacun peut être condamné »,  a ainsi prévenu Jean-Noël Barrot.

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