16thNov

Sound of freedom, véritable #Metoo de l’enfance : une tribune de Jean-Baptiste Maillard, qui a vu le film hier soir, jour de sa sortie. 

Avertissement préalable : Sound of freedom n’est pas complotiste et ne parle pas de politique, ce n’est pas un documentaire mais une fiction inspirée d’une histoire vraie.

Bouleversant, sans fausse note, ni voyeurisme ou images glauques ou malsaines : quoiqu’en disent les critiques qui surjouent les vierges effarouchées, Sound of Freedom est un film très émouvant, au scénario parfaitement ficelée et digne des meilleurs thrillers hollywoodiens, où l’on rit parfois, avec un excellent jeu d’acteurs. Mais le sujet est grave : c’est sans doute là que ça coince un peu, beaucoup, voire même à la folie ?

Traiter de l’esclavage est toujours délicat. Davantage encore lorsque celui-ci nous est contemporain et se déroule sous nos yeux, même aveuglés. Quand, en plus d’être actuelle, cette traite des êtres humains concerne les enfants, le sujet est tout simplement explosif, qu’on le veuille ou non.

Explosif car cet esclavage n’a qu’un but : l’argent. Il permet assouvir les fantasmes dégoûtants (et que Dieu merci la caméra nous épargne !) de riches bourgeois bedonnants, qui, #balancetonporc, violent impunément l’innocence de leurs jeunes victimes. Cela se passerait de commentaire s’ils ne participaient pas ainsi, par leurs actes criminels, à ce sordide trafic sexuel d’enfants, avec tout ce que cela implique de criminel comme les rapts, les souffrances, les détresses et des vies à jamais brisées. C’est d’ailleurs peut-être là le seul défaut du film : pouvoir laisser penser, un court instant, que nos petits héros arrachés à cet enfer vont pouvoir reprendre leur vie d’avant, quand on sait combien il est difficile pour un enfant de se reconstruire après un tel drame que sont ces viols à répétition. D’ailleurs, combien d’autres ne seront pas sauvés et resteront à vie dans la prostitution, faute de « sauveteurs » ? Mais comme le dit le proverbe, une goutte d’eau pour éteindre l’incendie peut suffire si chacun fait sa part.

Gênant aussi, Sound of Freedom, puisque ce trafic de petits êtres humains représenterait aujourd’hui un terrible « marché » de plus de 150 milliards de dollars (*), en pleine explosion. Comme l’est aussi l’explosion de la consommation d’érotisme, de porno soft, chic, hard, ou pire encore. Comme co-fondateur de Sosporno.net, lancé en 2020 pour venir en aide aux victimes de l’addiction à la pornographie, je ne suis pas trop mal placé pour savoir ce que représente aujourd’hui cette gigantesque pieuvre du porno. Le fait est… qu’elle conduit assez souvent de simples citoyens de la « simple » consommation épisodique puis régulière de pornographie à des comportements de plus en plus addictifs, vers des contenus de plus en plus violents, sans que nous connaissions bien sûr les détails. Ces « addicts » nous en témoignent anonymement dans le chat’ bienveillant de notre plateforme. Ils nous disent combien ils souffrent d’avoir été « pris au piège » d’un terrible engrenage, d’une spirale infernale et dont il apparaît qu’ils ne peuvent en sortir qu’avec l’aide de thérapeutes addictologues. (Ou quand, plus rarement, quoi que cela se poursuit encore, survient le miracle d’une libération immédiate par la prière et l’intercession d’un bienheureux comme Carlo Acutis).

1. Les liaisons dangereuses de la prostitution des mineurs

Parfois, cette addiction au porno s’accompagne aussi d’une addiction à l’alcool et à la drogue, comme on peut le constater aussi dans Sound of Freedom. Ou comme une triste actualité récente du showbiz français a malheureusement permis d’en faire prendre conscience l’opinion : le développement du « chemsex », alliance morbide du sexe et des stupéfiants, dont l’Académie de médecine a également pointé du doigt les effets pervers dans son rapport de janvier dernier.

Rapport qui, soit dit en passant, traitait précisément de l’accès à la pornographie chez l’enfant et l’adolescent, et soulignait que le nombre de mineurs en situation de prostitution en France se situerait entre 7 000 à 10.000 enfants (dont 90% de filles et 10% de garçons). Avec une prévalence « probablement sous-estimée et bien plus élevée pour les populations migrantes, en particulier dans les départements d’outre-mer ».

Par ailleurs, affirmait ce rapport, « les statistiques du ministère de l’intérieur montrent une augmentation récente des mineurs victimes de proxénétisme (1,4) », avec un âge moyen de début autour de 15 ans (5). L’académie de Médecine rapportait également les facteurs de risque et de vulnérabilité reconnus : « des comportements sexuels à risque (…), des situations de rupture familiale et des antécédents de fugue, d’abus sexuels, de déscolarisation, des difficultés psychiatriques (consommation de toxiques, dépression…) ». Une problématique qui toucherait « tous les milieux » (1, 2, 5). Et les « sages » de la santé de pointer du doigt des nombreuses difficultés des professionnels en termes de prévention et d’accompagnement :

  • « Premièrement, la ‘culture porno’ sur les réseaux sociaux (…) identifiant la femme à un objet sexuel, une forme de banalisation de l’utilisation du corps via les ‘sexting’, et une image parfois trop positive en termes d’émancipation et d’accès à de l’argent ‘facile’ (5,6) ».
  • « Deuxièmement, les adolescents concernés ont souvent du mal à se reconnaitre comme victimes, d’autant que des techniques d’hameçonnage se sont développées sur les réseaux sociaux, ciblant les jeunes vulnérables avec la promesse initiale d’une relation amoureuse authentique ».
  • « Troisièmement, les quelques campagnes de prévention et les tentatives législatives pour faciliter tant l’accompagnement que les enquêtes se heurtent toujours à de nombreux non-dits et interdits. (4) »

2. Une explosion de la pornographie chez mineurs

En mai dernier, l’Arcom (ex-CSA) dévoilait les derniers chiffres de Médiamétrie témoignant d’une inquiétante augmentation du nombre de mineurs exposés à la pornographie : +36% en 5 ans. « Un phénomène massif qui s’aggrave d’année en année », affirme cette étude disponible en ligne, dont on peut relever ces trois tendances alarmantes :

  • 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornos, un chiffre en croissance rapide ces dernières années.
  • 51% des garçons de 12-13 ans se rend sur ces sites, 65% pour les 16 et 17 ans (en moyenne 12% de l’audience des sites adultes est réalisée par les mineurs (17% sur certains sites)
  • près d’un mineur sur dix se rend chaque jour sur des sites à destination des adultes (contre 30% des mineurs mensuellement et 37% les adultes).

D’autre part, en Grande-Bretagne, une étude montre que 50% des agressions sexuelles perpétrées par des mineurs sont dues à l’addiction au porno, comme l’a affirmé en mai dernier la Commissaire à l’enfance du Royaume-Uni, Rachel de Souza, au Guardian. Elle a alors réclamé des mesures plus « robustes » pour protéger les enfants : « Je pense que nous avons plus que jamais des arguments en faveur de la mise en place des protections les plus solides pour les enfants en ligne. Aucun enfant ne devrait pouvoir accéder ou regarder ». Selon ses chiffres, les jeunes commencent à être addict au porno dès 13 ans et 1/10e des jeunes de 16 à 21 ans tombent dans cette addiction dès 9 ans. Des chiffres similaires en Espagne ont été évoqués… comme dans le reste de l’Europe ?

3. Un rapport sénatorial fait le lien entre pédo-prostitution et pornographie

En septembre 2022, est publié un rapport choc de 189 pages sur l’industrie du porno, ayant pour titre « L’enfer du décor ». Il dévoile l’envers du décor de l’industrie pornographie, et pointe également son lien avec les réseaux sociaux, mais aussi le proxénétisme, dont celui des enfants. Une « prostitution des mineurs » qui cache bien mal le nom de pédophilie, mais sur laquelle on peut sortir ces trois extraits très instructifs (7) :

  • Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République, co-référent prostitution et traite des êtres humains des mineurs à la division de la famille et de la jeunesse (Difaje) du tribunal judiciaire de Bobigny, expliquait : « La pornographie en ligne a pris son envol à la même période que la prostitution des mineurs a pris son envol, pendant les années 2010. Presque tous les jeunes nés dans les années 2000 ont eu très tôt des portables leur donnant accès à des sites pornographiques – car les outils de contrôle parental sont très limités. »
  • Samia Bounouri, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, précisait alors aux sénateurs : « On peut se demander jusqu’à quel point ce visionnage de vidéos pornographiques peut influencer par la banalisation et la désinhibition de certains jeunes « fragiles » qui se filment en plein acte sexuel pour diffusion via les réseaux sociaux ou autres. Nous nous interrogeons sur le lien entre cette banalisation et l’augmentation de la prostitution des mineurs. »
  • Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) ajoutait enfin : « La situation se dégrade également au regard des conduites à risques qui découlent souvent de cette immersion forcée des jeunes dans cette bulle pornographique, qui affecte fortement, comme toujours, les plus fragiles. (…) La prostitution des mineurs prend une ampleur phénoménale et inquiétante dans notre pays. »

Pour conclure, un dialogue du film Sound of Freedom illustre dramatiquement trop bien l’une des principales raisons de l’explosion de la pédophilie industrialisée : « c’est le réseau criminel international qui grandit le plus vite au monde : il a déjà dépassé les ventes d’armes illégales, et il surpassera bientôt le trafic de drogue : parce ce qu’on peut vendre un sachet de coke une fois, mais un enfant… cinq à dix fois par jour ». Alors que faire ?

Pour s’attaquer à ce fléau mondial, il faut prendre le mal à la racine, dont fait donc partie intégrante la pornographie. En luttant contre la pornographie chez les mineurs, on luttera contre la pédopornographie, contre la pédophilie et les trafics sexuels d’enfants. A nos Etats de lancer une véritable politique publique en ce sens, avec, au-delà de toute idéologie sur la sexualité, des moyens conséquents pour des mesures concrètes.

Et, pour commencer, un véritable empêchement de la consultation des sites pornos aux mineurs, qui est techniquement tout à fait réalisable, à condition d’une volonté politique, en dépit du manque à gagner que cela représenterait pour les principales plateformes de pornographie.

C’est une question d’humanité. En ce sens, parce qu’il met enfin en lumière la cause des enfants-victimes, comme un vibrant #Metoo de l’enfance, Sound of Freedom rend un service inestimable au bien commun de l’humanité. C’est un film salvateur, que tout le monde doit voir.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Venez en discuter avec nous sur le live chat’ ! (discussion anonyme et gratuite)

Pour aller plus loin :


Notes & sources

(*) Chiffre évoqué par Jean-Claude Brunet, l’ambassadeur en charge de la lutte contre les menaces criminelles transnationales de la journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains en juillet 2022.

  1. Champrenault C pour le groupe de travail. Rapport sur la prostitution des mineurs remis à monsieur Adrien Taquet, Secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles, le 28 juin 2021.
  2. Dupont M, Pohu H, Clochiatti U, Gorgiard C. Prévalence de la prostitution des mineurs dans les pays à revenu élevé : revue de littérature. Neuropsychiatr Enf Adol 2021; 69: 17–24.
  3. Observatoire des Violences faites aux Femme de Seine-Saint-Denis. Annexe 3. Études sur la prostitution des mineures en Seine-Saint-Denis, Ernestine Ronai éd., Violences sexuelles. En finir avec l’impunité. Dunod, 2021, pp. 203-206.
  4. Pohu H., Dupont M., Gorgiard C. (2022). PROMIFRANCE : recherche pluridisciplinaire sur la prostitution des mineurs en France. Rapport réalisé par le Centre de Victimologie pour Mineurs.
  5. Bulot C, Leurent B, Collier F. Pornographie, comportements sexuels et conduites à risque en milieu universitaire. Sexologies 2015; 24(4): 187-193.
  6. Lavaud-Legendre B, Plessard C, Encrenaz G. Prostitution de mineures – Quelles réalités sociales et juridiques ?. [Rapport de recherche]
  7. Rapport sénatorial sur l’industrie de la pornographie, « Pornographie, l’enfer du décor », des sénatrices Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fentimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol – rapport à retrouver ici.

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